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Extrait
«M'appelle Birahima.
J'aurais pu être un gosse comme les autres (dix ou douze ans, ça dépend).
Un sale gosse ni meilleur ni pire que tous les sales gosses du monde si j'étais
né ailleurs que dans un foutu pays d'Afrique. Mais mon père est mort. Et ma
mère, qui marchait sur les fesses, elle est morte aussi. Alors je suis parti
à la recherche de ma tante Mahan, ma tutrice. C'est Yacouba qui m'accompagne.
Yacouba, le féticheur, le multiplicateur de billets, le bandit boiteux. Comme
on n'a pas de chance, on doit chercher partout, partout dans le Liberia et
la Sierra Leone de la guerre tribale. Comme on n'a pas de sous, on doit s'embaucher,
Yacouba comme grigriman féticheur musulman et moi comme enfant-soldat. De
camp retranché en ville investie, de bande en bande de bandits de grand chemin,
j'ai tué pas mal de gens avec mon kalachnikov. C'est facile. On appuie et
ça fait tralala. Je ne sais pas si je me suis amusé. Je sais que j'ai eu beaucoup
mal parce que beaucoup de mes copains enfants-soldats sont morts. Mais Allah
n'est pas obligé d'être juste avec toutes les choses qu'il a créées ici-bas.»
Quatrième
de couverture
Je décide le
titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n'est pas obligé d'être
juste dans toutes ses choses ici-bas. Voilà. Je commence à conter mes salades.
Et d'abord... et un... M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre. Pas parce que
suis black et gosse. Non! Mais suis p'tit nègre parce que je parle mal le
français. C'é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois,
blanc, russe, même américain; si on parle mal le français, on dit on parle
p'tit nègre, on est p'tit nègre quand même. Ça, c'est la loi du français de
tous les jours qui veut ça. ... Et deux... Mon école n'est pas arrivée très
loin; j'ai coupé cours élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout
le monde a dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une vieille
grand-mère. (C'est comme ça on dit en nègre noir africain indigène quand une
chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère
parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit
et ne sent pas très, très mauvais.) L'école ne vaut pas le pet de la grand-mère
parce que, même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu d'être
infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de
l'Afrique francophone. (République bananière signifie apparemment démocratique,
en fait régie par des intérêts privés, la corruption.) Mais fréquenter jusqu'à
cours élémentaire deux n'est pas forcément autonome et mirifique. On connaît
un peu, mais pas assez; on ressemble à ce que les nègres noirs africains indigènes
appellent une galette aux deux faces braisées. On n'est plus villageois, sauvages
comme les autres noirs nègres africains indigènes: on entend et comprend les
noirs civilisés et les toubabs sauf les Anglais comme les Américains noirs
du Liberia. Mais on ignore géographie, grammaire, conjugaisons, divisions
et rédaction; on n'est pas fichu de gagner l'argent facilement comme agent
de l'Etat dans une république foutue et corrompue comme en Guinée, en Côte-d'Ivoire,
etc.
Copyright Editions Le Seuil
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Biographie
Ahmadou Kourouma est né en Côté
d'Ivoire le 24 novembre 1927, àTogobala, dans l'ethnie Malinké.
Il fut tirailleur en Indochine de 1950 à 1954. Il connu divers
exils : en Algérie de 1964 à 1969, au Cameroun de 1974 à
1984, et au Togo de 1984 à 1994. Après
des études de mathématiques à Paris et à Lyon, il écrit son premier roman,
Soleil des indépendances.
Ce livre est une satire politique. Ahmadou Kourouma est reconnu, depuis
ce premier roman, d'abord publié en 1968 au Canada, puis en 1976
en France, comme l'un des écrivains les plus importants du continent africain.
Suivent Monnè, Outrages et défis (1990),
qui dépeint la pénétration française en Afrique du point de vue des vaincus,
puis En attendant le vote des bêtes sauvages
(1998, Prix du Livre Inter en 1999), épopée d`un chasseur de
la tribu des hommes nus qui devient dictateur à l`africaine, ont continué
à révéler un certain style qui oscille élégamment entre
l'humour et la lucidité. |
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Bibliographie
Allah n'est pas obligé,
2000, Ed. du Seuil, (roman) Prix
Renaudot
En attendant le vote des bêtes
sauvages, 1998, Ed. du Seuil,(roman) Prix du Livre Inter
Monnè, Outrages et Défis,
1990, Ed. du Seuil, (roman)
Le diseur de vérité,
1974, (pièce de théâtre, publiée en Côte
d'Ivoire)
Le soleil des indépendances,
1968 (roman publié d'abord au Canada, et repris ensuite par les éditions
du Seuil) |
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