Le Prix Théophraste Renaudot est l'un des cinq grands prix décernés à chaque rentrée littéraire. Le nom du lauréat est proclamé au restaurant Drouant en même temps que le Prix Goncourt. Ce prix fut créé en 1926 par dix critiques littéraires attendant la délibération du Goncourt (qui, lui, date de 1903). Deux livres sont désignés au cas où le lauréat du Renaudot aurait déjà le Goncourt. On a coutume de dire que le Prix Renaudot répare les éventuelles injustices du Prix Goncourt.

Le prix n'est doté d'aucun montant.

Eu égard au palmarès,on peut affirmer que, depuis sa création, les divers jurys ont su faire preuve de clairvoyance. En effet, le Renaudot récompensa des écrivains aussi différents et géniaux que Marcel Aymé, Louis-Ferdinand Céline, Louis Aragon , Georges Pérec, Michel Butor, Jean-Marie Gustave Le Clézio ...

La naissance du prix :

 

Depuis la fondation de l'Académie Goncourt les Dix déjeunaient le premier lundi de décembre et attribuaient leur prix au cours du repas. C'est dire que le lauréat était souvent proclamé assez tard car les délibérations des Goncourts ont toujours été tumultueuses, et leur histoire est jalonnée de départs fracassants et de protestations indignées. Sitôt le résultat connu, nous autres, les informateurs littéraires, allions porter la nouvelle au journal avant de nous mettre à la recherche du lauréat. Ce qui n'était pas toujours facile, les éditeurs étant moins bien organisés qu'aujourd'hui. Nous écrivions ensuite notre article, si bien que nous devions renoncer à déjeuner. Comme nous étions jeunes et dotés d'un solide appétit, en 1925 je proposai aux camarades attachés à la même galère de prendre ensemble notre repas ce jour-là à onze heures dans un petit restaurant voisin de Drouant, à la Fontaine Gaillon. Ils acceptèrent d'enthousiasme et Gaston Picard s'écria " Pourquoi ne décernerions-nous pas un prix nous aussi ? " L'idée me parut excellente : " Un prix de journalistes, dis-je, auquel nous donnerions le nom de Théophraste Renaudot, le premier journaliste." Quelques jours plus tard nous nous réunissions chez Raoul pour constituer un jury de dix membres. Nos statuts seraient calqués sur ceux des Goncourts, donc inutile de les déclarer et d'élire un président. C'est ainsi que, dans l'illégalité la plus totale, le prix Renaudot est attribué depuis près d'un demi-siècle. Les premiers membres furent Raymond de Nys de l'Intransigeant, plein de finesse, toujours souriant, Pierre Demartres du Matin, connu pour ses grands reportages comme Georges Le Fèvre du Journal. Mais ni l'un ni l'autre ne dédaignaient la petite information car nous étions tous des vrais journalistes et nous ne nous prenions pas au sérieux. Il y avait encore Noël Sabord de Paris-Midi, un homme de grande culture, Marcel Espiau qui s'était signalé par une farce assez joyeuse. Copain avec un maître d'hôtel de Drouant il avait obtenu de l'aider à servir le repas des Goncourts. Si bien qu'il put assister au début de leurs délibérations alors tout à fait secrètes. Pénétrer dans leur salle à manger, comme le font aujourd'hui reporters et photographes, eût paru aux frères Rosny, à Léon Hennique ou à Léon Daudet un crime de lèse-majesté. Mais Espiau fut reconnu, rapidement chassé et il raconta avec esprit son aventure dans l'Éclair. La présence d'une femme nous parut indispensable et nous fûmes heureux d'accueillir Odette Pannetier, célèbre pour ses articles au vitriol de Candide. Georges Martin du Petit Journal, Gaston Picard de la Renaissance et le dessinateur Henri Guilac du Canard enchaîné, qui donnait aux Nouvelles littéraires de pittoresques bandes dessinées, complétèrent le jury. Je ne dis pas que, dans notre esprit, il n'y avait pas un peu de malice et l'arrière-pensée de rectifier les votes des Goncourts que nous approuvions rarement, mais nous nous gardâmes de le proclamer et nos relations avec nos aînés furent si bonnes qu'une fois Lucien Descaves, provisoirement brouillé avec ses collègues, vint présider notre déjeuner. Le premier eut lieu en décembre 1926. Quand vint le moment du vote Odette Pannetier, dans cet esprit de canular qui nous animait, suggéra le nom d'Anatole de Monzie alors ministre de l'Éducation nationale. D'autres propositions du même genre ne nous parurent pas plus astucieuses. Si bien qu'une majorité se dégagea pour donner un coup de projecteur sur un inconnu. C'est ainsi que fut choisi le savoureux Nicolo Pecavi ou l'Affaire Dreyfus à Carpentras, premier roman d'un jeune professeur au lycée de Monaco, Armand Lunel. Notre initiative eut un retentissement qui nous surprit mais ne nous valut pas que des amis. Comme nous avions décidé d'être dix comme les Goncourts, nous avions dû éliminer beaucoup de camarades qui nous tinrent rigueur de ne pas siéger avec nous. Quelques-uns décidèrent alors de recommencer avec le jury Fémina l'opération un peu fortuite que nous avions réussie avec l'Académie Goncourt. C'est ainsi que naquit un prix qui adopta le nom du cercle du faubourg Saint-Honoré où il se réunissait. Le jury de l'Interallié est composé non plus seulement d'informateurs littéraires, mais de journalistes qui couronnent chaque année un journaliste. Nous eûmes l'idée d'inviter à notre table l'année suivante Armand Lunel, et la tradition depuis s'est si bien maintenue que deux seulement de nos lauréats n'ont pas participé à nos déjeuners Le Clézio, qui ne prit même pas la peine de nous répondre, et Etchart, qui réside aux Antilles. Certains de ces repas, égayés par les calembours de Gaston Picard, furent pittoresques, tel celui que présida Louis-Ferdinand Céline, ou celui qui nous valut un beau discours de Roger Peyrefitte qu'il fit imprimer sur vélin au nom de chacun de nous. L'un de ces déjeuners aurait pu mal tourner. Au moment de passer à table Marcel Aymé fut pris d'une crise nerveuse si violente qu'il faillit se jeter par la fenêtre. Il reprit rapidement le contrôle de lui-même et, ayant déjà tout oublié, il voulut participer au déjeuner. Nous eûmes du mal à le persuader qu'il valait mieux qu'il se laisse reconduire chez lui.

Extrait de D'une rive à l'autre par Georges Charensol (Mercure de France, 1973)

Un peu d'histoire :

Ce prix prestigieux perpétue le souvenir de Théophraste Renaudot, médecin de Louis XIII et ami de Richelieu. Homme inventif, curieux, il fut à l'origine d'institutions qui lui ont aujourd'hui survécu : les monts de Piété, les petites annonces, l'assistance publique, l'agence pour l'emploi et surtout la Presse. C'est pour cette dernière raison, évidemment, que le prix lui rend hommage, puisque le jury du Renaudot est constitué d'hommes et de femmes de presse. La carrière de Théophraste Renaudot est des plus étonnantes et elle révèle un caractère exceptionnel tant par sa force que par son intelligence, doublé de réels talents d'intrigue ...

 

 

Théophraste Renaudot, fils de Jean Renaudot, maître d'école et de Cécile Fourneau, fille d'une famille bourgeoise de Loudun, naquit en 1586 à Loudun (Vienne), dans une famille protestante aisée. Il quitta Loudun en 1602, afin de faire ses études à Paris, puis à Montpellier en 1605. En 1602, il contracta les écrouelles, qui lui laissèrent des cicatrices sur le visage. Il fut reçu docteur en 1606, à vingt ans ! S'estimant trop jeune pour exercer sa profession de médecin, il voyagea beaucoup (Suisse, Italie, Allemagne, Angleterre, etc.) et revint dans sa ville natale.

Le 10 juin 1608, il épousa Marthe du Moustier et s'installa comme médecin. Il est fort probable que le jeune couple vécut dans la maison natale de Théophraste, aujourd'hui transformée en musée. Il fabriqua avec un ami apothicaire, Jacques Boisse, un médicament, qu'il présenta alors comme une sorte de panacée.

Par l'intermédiaire de son ami, le père Joseph, Renaudot rencontra et se lia d'amitié avec le jeune évêque de Luçon, futur cardinal de Richelieu. Richelieu devint donc l'ami, puis le protecteur, de Renaudot et l'aida à faire confirmer ses multiples brevets.

Un Traité des Pauvres lui vaut en 1612 un premier brevet royal pour un projet de "bureau d'adresses" (nos "petites annonces"). Renaudot voulait créer un bureau de placement censé permettre la diminution des vagabonds et de la pauvreté, en employant les gueux à des tâches d'utilité publique. Très rapidement, ce bureau diversifia ses activités et devint une agence de renseignements de tous ordres et qui enregistrait les demandes d'emplois, les propositions de vente, d'achat, les déclarations de toute nature.

Renaudot est alors nommé médecin du Roi et a la charge "de s'employer au règlement général des pauvres du Royaume".

En 1618, il oeuvre toujours à l'accomplissement de cette tâche et obtient le titre de Commissaire Général des Pauvres du Royaume.

En 1626, Renaudot, installé à Paris depuis 1625 (année qui suit l'entrée de Richelieu au Conseil du Roi), se convertit au catholicisme. Il ouvrit alors, dans l'île de la Cité, rue de Calandre, à l'enseigne du Grand Coq, son bureau d'adresses et de rencontres.

En 1631, Renaudot, qui n'a cessé d'élargir les domaines d'activité de son bureau d'adresses, y installa sa Gazette (dontl'appellation provient du nom d'une pièce de monnaie italienne, la Gazetta, que l'on utilisait pour acheter les Nouvelles de l'époque) et son imprimerie, et y édita à partir du 1er juin 1632 sa Feuille du bureau d'adresses. Il créa les Conférences du Bureau d'Adresse, où l'on débattait d'idées politiques, religieuses, philosophiques et scientifiques.

Avec la création de sa Gazette, en 1631, Renaudot imprime le premier journal français et devient le premier journaliste officiel.

En 1637, un brevet vint consacrer les opérations de prêts sur gage et de ventes aux enchères qui avaient lieu à son bureau et qui le transformaient en salle des ventes et en un mont-de-piété.

La même année, il obtint un autre brevet royal, qui reconnaissait le dispensaire de soins gratuits (les Consultations Charitables) que Renaudot avait créé avec l'aide de médecins, de chirurgiens et de pharmaciens.

Ces ingénieuses inventions ne furent pas au goût de tous, notamment de la Faculté de Médecine de Paris, incarnée en la personne de Guy Patin, ennemi juré de Théophraste Renaudot. Les théories médicales et les méthodes de Renaudot étaient contraires à l'enseignement scolastique. En outre, le protégé de Richelieu, également historiographe du Roi, s'était créé beaucoup d'ennemis à Paris, au Parlement.

Après la mort de Richelieu (en 1642) et celle de Louis XIII (en 1543), Renaudot se retrouva dépourvu de protection et fut contraint de cesser la pratique de la médecine et de fermer son bureau d'adresses. Toutefois, Renaudot sut convaincre Mazarin de l'utilité de sa Gazette et put consacrer la fin de sa vie à son métier de gazetier.

Il mourut, à demi ruiné, en 1653.

 

 

Aujourd'hui, à Loudun (86200), il est possible de visiter la maison natale de Théophraste Renaudot, reconvertie en un musée de cire qui lui est dédié et qui retrace sa vie. Le musée est ouvert du 15 juin au 15 septembre tous les jours de 10h. à 12h. et de 14h.30 à 18h, et hors saison, tous les jours de 14h. à 17h.30 (pour tous renseignements, téléphonez au 05 49 98 27 33).

 

 

A lire :

 

Bailly (Christian), Théophraste Renaudot, un homme d'influence au temps de Louis XIII et de la Fronde, Le Pré aux Clercs, 1987

Hatin (E.), Bibliographie de la presse, Librairie de Firmin Didot Frères Fils et Compagnie, 1866

Gouhot (P.), Théophraste Renaudot ou médecin, philanthrope et gazetier, La pensée universelle

Gilles de la Tourette, La vie et les oeuvres de Renaudot, Ed. du Comité , 1892 (consultable "en ligne" sur le site de la Bibliothèque Nationale de France)

Robert Delavault, Theophraste Renaudot la plume et le caducée , Cosmogone, 2001

 

 

 

Le premier jury :

 

Gaston Picard

Georges Charensol

Marcel Espiau

Noël Sabord

Raymond de Nys

Pierre Demartre

Georges Martin

Odette Pannetier

Henri Guilac

Georges Le Fèvre

 

Voir copie d'un procès verbal

 

 

 

 

 

 

Anecdotes :

 

A VENIR !